Menu informations pratiques

Bicot

Bicot est une série étonnante, dans la mesure où il s’agit d’une série nord-américaine d’invention française. Il s’agit en effet à l’origine de Winnie Winkle the Breadwinner (1920-1996), de Martin Branner, une des nombreuses bandes dessinées de presse consacrées aux jeunes femmes libérées des années folles ; celles-ci offraient en effet l’occasion d’injecter un peu d’érotisme et de contemporanéité dans les chroniques quotidiennes humoristiques, qui constituent alors le genre dominant dans les comic strips (on peut penser à la fille de Jiggs dans Bringing Up Father/La Famille Illico, ou encore à Blondie dans les toutes premières années de la série).

L’histoire de Bicot est connue : dans la série, Winnie Winkle était flanquée d’un agaçant petit frère, Perry, auquel étaient consacrées les grandes planches du dimanche, pour des anecdotes relativement autonomes. Au prix d’un grand travail d’adaptation (on parlerait aujourd’hui de « localisation ») – détaillé par Ian Gordon dans Kid Comic Strips: A Genre Across Four Countries (2016) – ces planches du dimanche ont été traduites en France sous le nom de Bicot à partir de 1924, sans être accompagnées de la série quotidienne. Ce Bicot adapté, privé de son contexte, devenait donc un avatar de cet autre grand genre que sont les enfants turbulents et truculents, quelques années après Buster Brown et quelques décennies avant Calvin & Hobbes. Il connut aussi un véritable succès, au point d’avoir ses continuateurs français.

La série est aujourd’hui devenu un cas d’école pour illustrer la façon dont les circulations transnationales et la nostalgie construisent des hiérarchies culturelles radicalement différentes d’un pays à l’autre : œuvre éminente pour les bédéphiles des années 60, Bicot/Perry Winkle est une figure très marginale pour les amateurs nord-américains.

Flash Gordon

Créé par Alex Raymond en 1934, Flash Gordon, aussi connu sous le nom de Guy l’Eclair en France, est une des bandes dessinées de presses les plus influentes de l’histoire du médium. Inspiré notamment par les aventures martiennes de John Carter telles qu’imaginées Edgar Rice Burroughs (Tarzan), Raymond y décrit une planète rétro futuristes, à la fois médiévale et marquée par l’esthétique art déco industrielle du streamline. Après des premières planches timides, Raymond impose un graphisme sans pareil, d’abord organique et habité par des textures ondoyantes, avant d’évoluer vers des grandes cases régulières au trait épuré et presque minimaliste, au fil des années 30. Si le scénario a du souffle, il reste classique, manichéen et très marqué par la littérature coloniale du début du 20e siècle : il oppose Flash à une succession de monarques locaux, dont de nombreuses reines et princesses voluptueuses, et de créatures mi-homme mi-bête, dans une structure narrative qui se prêtera admirablement aux adaptations en films à épisodes dès 1936. C’est donc par son graphisme et son imaginaire visuel que Flash Gordon fascine, de son érotisme affiché jusqu’à ses scènes d’affrontement entre colosses aux corps sublimés. La série sert ainsi de source d’inspiration manifeste aux premiers comic books d’aventure et de super-héros, qui semblent parfois décalquées directement des grandes planches du dimanche de Raymond (sur la couverture d’Action Comics n°5, par exemple).

En 1944, Raymond quitte la série, qui sera poursuivie par notamment par Marc Raboy ou Dan Barry et continuera à jouir d’une grande popularité. C’est cependant la version de Raymond qui sert de point de référence pour la bédéphilie et au-delà, puisque la série a inspiré aussi bien Barberalla que Star Wars.

Li'l Abner

Li’l Abner est une série assez peu connue en France, en regard de sa notoriété aux Etats-Unis. Le « petit Abner » est créé en 1934 par Alfred Gerald Caplin, dit Al Capp. Immensément populaire dans les 40 et 50, la série décline ensuite et cesse de paraître en 1977 ; Capp en assure la supervision jusqu’au bout.

Quand des bandes contemporaines, comme Prince Valiant ou Flash Gordon, misent sur une imagination visuelle hors pair et sur des formes d’aventure exotiques, Li’l Abner propose la chronique rurale d’une petite ville sudiste absurde, au centre duquel trône Abner lui-même, colosse candide à fossette. Comme Walt Kelly dans Pogo, et avec un trait rond et vif privilégiant le dynamisme et la caricature, Capp fait de son microcosme sudiste une miniature satirique de la société des Etats-Unis. La série met ainsi fréquemment en scène des personnalités contemporaines et inspire en retour des pratiques culturelles nouvelles, comme le « Sadie Hawkins Day », fête fictive durant laquelle les jeunes filles partent en chasse de partenaires, bientôt célébrée largement aux Etats-Unis. Ce dialogue avec l’actualité explique sans doute en partie la relative obscurité de la série en France : bien que célébrée par les amateurs, elle n’est traduite qu’en 1969, dans Charlie Mensuel.

Prince Valiant

Prince Valiant, ou Prince Vaillant en France est une œuvre à la réputation paradoxale. Hal (Harold) Foster la crée en 1937, après avoir produit pendant quelques années un spectaculaire Tarzan. Il travaillera pendant 34 ans sur la série, qui continue encore aujourd’hui, loin de son faste passé.

Prince Valiant se déroule à l’époque arthurienne et met en scène un jeune héros au visage lisse, rapidement plongé dans une existence d’aventures épiques, pleines d’improbables châteaux élancés, de hordes de barbares velus, de combats épiques, de magie et de jeunes femmes sculpturales. Contrairement à bon nombre de bandes dessinées de presse de son époque, Prince Valiant n’existe que sous la forme de pages du dimanche, en grand format et en couleur. Dans ces vastes pages, Foster déploie une technique très sûre, au trait délicat et fouillé, largement inspirée par les illustrateurs populaires du début du 20e siècle. Le texte, rejeté dans des récitatifs sous l’image, conforte la ressemblance avec les romans illustrés. De là, sans doute, un procès tenace qui lui est fait. Tout en reconnaissant l’excellence de sa technique – difficilement contestable – ses critiques déplorent le caractère figé de ses planches ou la raideur de sa narration. La relecture de Prince Valiant montre pourtant que le dispositif ne nuit pas au dynamisme ou au rythme de la série, tour à tour, drôle, épique ou merveilleuse. Jack Kirby, maître incontesté du mouvement dans les comics de la seconde moitié du 20e siècle, revendique d’ailleurs l’influence de Foster, à qui il emprunte en 1972 l’apparence de son démon Etrigan, dans la série The Demon.

Tarzan

Tarzan, l'admiration pour Burne Hogarth

Plus que toute autre série, sans doute, Tarzan a passionné les bédéphiles des années 60, et engendré une fascination durable pour un auteur en particulier, Burne Hogarth (1911-1996).

Tarzan paraît en bande dessinée le 7 janvier 1929, sous la forme d’une sage adaptation du roman d’Edgar Rice Burrough (1912) : une bande quotidienne en cinq illustrations noir et blanc signées Hal Foster, le futur auteur de Prince Valiant, surplombant un texte abondant. Il s’agit somme toute d’une transposition peu remarquable pour ce personnage extrêmement populaire, qui traversent tous les médias de l’époque et avait déjà été incarné au cinéma à plusieurs reprises dans des films à épisode (serial). Une fois l’adaptation du roman achevée, Tarzan poursuit ses aventures quotidiennes (dessinées par Rex Maxon), mais se voit surtout doté, à partir de 1931, de spectaculaires planches du dimanche en couleur, de nouveau dessinées par Foster. Burne Hogarth lui succède en 1937 et fait évoluer l’élégance méticuleuse de Foster vers un plus grand dynamisme, adossé à un rendu spectaculaire des corps dénudés. L’industrie naissante du comic book fera grand usage des versions de Foster et Hogarth, en décalquant leurs poses avec méticulosité pour mettre en scène les aventures d’innombrables rois et reines de la jungle.

En France, dans les années 30, la presse francophone (Hurra, L’As ou Junior) publie de façon désordonnée planches quotidiennes et pages du dimanche de ces différents auteurs, mais c’est bien Hogarth qui fera l’objet de l’admiration la plus fervente, dont on trouvera d’abondantes traces dans la base de MediaBD. En témoigne par exemple cette affirmation sans appel en couverture de Giff-Wiff n°18, en février 1966 : « Tarzan égale Hogarth », annonçant un numéro entièrement consacré à l’auteur.